CERE: Made in Rock'N'Roll - Mai 2025

Titres :
01 – Blouson noir (Patrick Grogan/Robert Davies/Didier Céré) 03 :17 (« Bad Bad Boy » adaptation française Didier Céré)
02 – Le rade des zombies (Brian Setzer) 03 :59 (« Radiation Ranch » adaptation française Didier Céré)
03 – La Génération perdue (Johnny Hallyday/Long Chris) 03 :43
04 – Maria (Brian Setzer/Steven Van Zant) 05 :00 (« Maria », adaptation française Didier Céré)
05 – Mauvaise fille (Jean Pierre Morgand/Gilles Coutin) 04 :15
06 – Kings Shuffle (Jeremy Mondou) 04 :26
07 – Je suis toqué (Bruce Springsteen) 03 :51 (« Fire » adaptation française Didier Céré)
08 – Je serais là (Étienne Roda-Gil/Trevor Steel/John Holliday/ Milan Zekavica/Johnnie Christo) 03 :57
09 – 4m² (Pierre Yves Lebert/Yodelice) 04 :27
10 – Made in Rock’n’Roll (JD McPherson) 03 :14 (« Let the good times roll » adaptation française Pierre Dominique Burgaud)
11- Casey Jones Boogie (Didier Céré/Jeremy Mondou) 02:17
Musiciens :
Didier CÉRÉ (chant, guitare)
Jeremy MONDOU (guitare)
Mickael MAZALEYRAT (harmonica)
Franck MOLINIER (basse)
Nico LACAZE (batterie)
Musiciens invités :
Fred Chapelier (guitare 06, 07 ,09)
Red Volkaert (guitare 04)
Veal Black (guitare 04)
Red Young (Hammond 04, 07)
Jean Yves Lozac'h (pedal steel guitare 08, 09, 11)
Larry L. Telford (Hammond 03, 09)
Michel Mondou (saxo)
Le voilà donc, l’album dont Didier Céré, aussi un moment chanteur/leader des Bootleggers et d’Abilene, proclame partout qu’il serait son dernier. En tous les cas, c’est son troisième album solo, enregistré et mixé dans son fief de Pau. L’album offre une vraie cohérence de démarche et navigue entre adaptations de morceaux à fort caractère de références anglo-saxonnes, et reprises de quelques titres français représentatifs des goûts et références de Didier, avec juste deux titres originaux. À la base, rien de révolutionnaire, donc, mais un travail peaufiné, ciselé pour porter une forme de bonne parole d’une école d’approche du rock en français très inspiré par ce qui se passe outre-Atlantique. En principe, tout pour plaire à nos oreilles !
Tout démarre fort avec l’adaptation en français du « Bad Bad Boy » de Breathless (« Blouson noir »), ambiance très rock’n’roll, sur une base guitare en son ferraille et harmonica remuant. Le titre est attaqué de manière très tonique, un vrai « coup de poing » expédié en boulet de canon. Ça commence bien ! Nous n’allons pas nous ennuyer. Ça continue à remuer, mais dans un esprit un peu moins « coup de poing » et dans une facture plus classique avec « Le rade des zombies », adaptation par Didier lui-même du « Radiation Ranch » de Brian Setzer, avec un vrai projet de texte. On y remarquera un joli solo d’harmonica, un solo de guitare virevoltant, et le changements de tonalité pour la coda. « La Génération perdue » fait partie des deux titres hommages incontournables à notre « Boss » français, Johnny Halliday. Le classique de 1966, ballade musclée et carillonnante, avec ses guitares arpégées, offre un enchaînement réjouissant entre un mélodique solo de sax ténor et un solo guitare qui titillera agréablement les oreilles sudistes. Cette génération révoltée qui en veut à la Terre entière, a encore des aspirations, des illusions, et croit en un futur meilleur, offrant un contraste troublant avec la génération désenchantée, on pourrait dire désabusée, de M. Farmer. Entre temps, il y aura eu mai 68, Prague, les SS 20, le chômage, les punks, le SIDA, et pas mal de désillusions.
« Maria », écrite à l’origine par Brian Setzer et Steven Van Zant, offre l’alliance judicieuse de deux univers, celle du feeling rockabilly de l’un et de la plongée dans l’Amérique profonde du Boss américain. Démarrage par bruit de moto, puis carillon instrumental pour l’adaptation d’une ballade musclée et mélodique, dont les paroles emplies de désillusion et dignes de ses prestigieux inspirateurs renforcent avec une grande justesse le côté mélancolique et contribuent avec le solo de sax et le délicat solo de guitare à faire de ce titre un petit joyau. On continue dans les ambiances plus sombres avec « Mauvaise fille », au départ créé par Dick Rivers. Le martèlement rythmique qui pulse vient appuyer une voix grave, qui fonctionne parfaitement avec les interventions ponctuelles de guitare, avant un refrain enlevé. Un break introduit un traditionnel passage hors tempo où entre le sax, avant de déboucher sur un magnifique solo de sax, puis une guitare tourbillonnante prend un superbe relais. « Kings Shuffle », un des deux titres originaux, est en fait un instrumental très texan au titre en forme de clin d’œil, rempli de breaks, où une première guitare s’exprime avec une forme de jubilation, suivie d’une intervention du sax, puis de l’harmonica, avant que ne s’expriment d’autres guitares entre les breaks conduisant à la coda. Intermède brillant qui offre une respiration particulière dans cet album, offrant aux connaisseurs l’opportunité de rechercher les influences inspirant les différents soli.
Au départ plein d’espoir, « Je suis toqué », très belle adaptation d’un titre de Springsteen, est un peu le « Madeleine » du rock’n’roll : paroles pessimistes, ambiance morose d’une déception amoureuse, qui permet aux soli (court solo guitare, puis solo sax puis deuxième solo de guitare) de peaufiner l’atmosphère. Ce rendez-vous amoureux manqué semble boucler un voyage du désappointement entamé avec « Maria », se terminant cette fois par le bruit du départ d’une moto.
Et en effet, « Je serais là », très jolie ballade sentimentale, dont le chant et les arrangements empêchent toute mièvrerie, amène un tout autre climat, habité par la pedal-steel de Jean Yves Lozac'h. Le chant de Didier s’envole magnifiquement avant le premier solo de sax. On recommence ensuite la séquence pour terminer avec une dernière phrase dite plutôt que chantée qui mène vers la coda accompagnée doucement par la pedal-steel. Chapeau bas ! Ambiance beaucoup plus tendue, pour « 4m² », superbe blues sombre et hypnotique sur l’enfermement pénitentiaire. Le deuxième hommage à notre Johnny national gagne peu à peu en intensité. L’harmonica ponctue la souffrance de cet enfer, un break à la guimbarde introduit les soli de guitares, pendant que la basse martèle et que le titre se conclut par une coda originale à la guimbarde. Encore une belle réussite !
Changement radical d’ambiance avec « Made in Rock’n’Roll », le bien nommé ! Entre rockabilly et rock’n’roll, cette adaptation très entraînante du « Let the good times roll » de J.D. McPherson tangue et roule sur un swing frénétique, avec tous les ingrédients du style et toujours des soli inventifs et de qualité. Un joli break en plein milieu permet un redémarrage sur lequel vient s’inviter un harmonica en trilles. Voilà un excellent titre pour les cours de danse et les soirées rock’n’roll ! L’ambiance reste au beau fixe avec « Casey Jones Boogie », joyeux hommage au boogie, titre original très dansant au son très country, autour duquel tournicotent guitares, harmonica, et pedal-steel. Titre et album se concluent sur un mode optimiste et joyeux, avec le concours du sifflet très western d’un train. Et nous avons vraiment passé un bon moment !
Cet album magnifique, très américain dans son inspiration semble être organisé en trois temps : un premier plus punchy, plus révolté, puis un deuxième tout aussi fort mais porté par des paroles plus sombres et distillant les saveurs un peu amères d’une désillusion générale. L’ambiance de cette deuxième partie, allégée quand même par un instrumental dynamique, conduit à une troisième partie au climat plus positif. Dans chacune de ces parties, les sentiments qui dominent sont le plaisir pour nos oreilles, tellement les compositions, les textes et la formidable équipe des musiciens offrent une qualité de haut niveau, une énergie intense présente à tous les instants, même dans les moments plus calmes, et un respect mêlé d’admiration devant ce splendide boulot. On peine à croire que ce bijou, que vous pouvez vous procurer en toute confiance si son style peut vous plaire, pourrait être le dernier de notre vieux rocker. Si c’est le cas, quelle magnifique sortie de scène ! Mais n’entend-on pas parler du côté des Pyrénées d’un prochain album-florilège ? Vu le niveau de cet album, nous en redemandons. Tout n’est peut-être pas fini.
Y. Philippot-Degand